Le renouveau haïtien : la culture ou…rien…. !
Seulement dix
minutes après le démarrage du bus se dirigeant à Portail Léogane,
dans un tohubohu étouffant,
la voix calme d’une vielle dame s’éleva :
« Bonjour
mes amis ! Il nous faut
remercier le Bon Dieu pour la vie qu’il
nous donne bien que nous soyons des pécheurs.
Oh oui…il nous aime mais un
jour viendra où il ne sera plus
notre défenseur mais le juste
juge ! Voilà pourquoi vous devez l’accepter pendant qu’il
en est encore temps. »
Le brouhaha s’apaisa comme pour
saluer ses mots ou tout simplement par révérence
pour son âge ou plus encore, un
mélange des deux.
Difficile de le déterminer
vraiment ! Voyant le
silence qu’elle arriva à imposer, elle poursuivit mais en augmentant de plusieurs
tons cette fois : « Vous qui consultez les hougans pour vous guérir, avoir des enfants, ce n’est que du bluff !
Ils ne possèdent pas la vie ! Vous pêchez
car vous entrez en idolâtrie ! Celui qui possède
la vie est le Fils de Dieu qui s’est
lui-même donné pour expier nos péchés et nous préparer une place auprès du Père. » Il n’est
pas coutume qu’on interrompe les
annonceurs de la Bonne Nouvelle de peur d’attirer les châtiments
de Dieu sur soi mais aujourd’hui,
il y eu dans le bus un brave, un cadavre ambulant…
Ce dernier leva l’index
pour solliciter la parole, la dame acquiesça positivement de la tête et le courageux ironiquement formula sa question :
- Anh…
Mezanmi où est le péché
à consulter un hougan
guérisseur usant de ses
connaissances sur les feuilles pour guérir
ou pousser à enfanter ?
-La Bible l’interdit,
rétorqua fièrement la dame !
- Dans ce cas, consulter les médecins ayant appris, pendant plusieurs années, les méthodes
de guérison occidentales
serait encore de l’idolâtrie ?
- OH Non…Cette
connaissance vient de Dieu !
- Mezanmi manmanm ! ! Sur quelle base décidez-vous que telle ou telle connaissance vient ou pas
de Dieu ?
- Sur la Bible... c’est
elle ma boussole !
- Eben chère
madame, laissez-moi soulignez à
votre attention que c’était
sur la base de cette Bible que vous preniez comme boussole que des millions de
gens ont été réduits
et massacrés en esclavage.
Il n’avait
fallu que cette phrase, telle la goutte d’eau renversant le vase, pour mettre fin à ce fameux tac-au-tac et redonner pied au vacarme sourd.
Humm…pas besoin d’être fin sociologue pour savoir que l’épistèmê d’une
société peut s’entrevoir
dans un bus formant uniquement un échantillon
de vingt personnes !
Des voix manifestement contrariées
s’élevèrent pour exprimer leur désaccord de la façon
la plus intolérante qui soit : « Tonbe
Djab ! », «
Li pran kou, li pran kou ! », « Le
sang de Jésus BiwwW ! »
Les moins enthousiastes répétèrent calmement qu’il est fou ou ce qu’il
avance n’a aucun sens, ne suit
aucune logique ! Le courageux, dans un élan patriotique rétorqua
violemment cette fois :
-
Vous
êtes, à ce point, chrétiens
et vous vous promenez sur les détritus
sans vous en rendre compte ? Cette Bible avec laquelle l’occident vous a asservi continue de vous aveugler jusqu’ici. Cette évangile
vous poussant à couper nos arbres
sous prétextant qu’ils abritent des esprits loas ! Et même
si nos arbres les avaient abrités !
Epi si l’Évangile avait été bonne comme vous le prétendez, pourquoi sommes-nous toujours dans cet état déplorable ? Et pire, pourquoi
a-te-elle justifié
l’esclavage ?
Un monsieur frisant la cinquantaine le regarda avec dédain avant de lancer :
-
Madame,
vous étiez venue annoncer
une nouvelle, poursuivez !
De toute façon si ce petit
connaissait vraiment son histoire, il saurait que c’est le sang au Bois-caïman qui nous a mis dans cet Etat. Il saurait aussi que les
espagnols n’avaient pas offert
des Bibles aux autochtones mais des miroirs….
-
Ahhh… c’est
les miroirs qui justifient alors l’esclavage ?
-
Je
vous dis seulement qu’il
a commencé à partir de ça,
poursuivit-il l’air réfléchi…
Le jeune homme, l’air
dégouté répéta :
«
les miroirs, les miroirs ! »…Le vacarme continua même après
que la vielle soit descendue du bus. J’avais
moi aussi ,après avoir entendu ces
fameux miroirs, souri mais mon cœur
se serra en voyant les entre-lignes d’une
telle déclaration ou en
regardant la réaction des gens par
rapport à leur histoire, leur identité. Quel est ce peuple allant jusqu’à justifier les actions de ses bourreaux, à se sentir fier face au blanchissement de ses héros ; et qui se bombe paradoxalement le torse lorsqu’il entend parler de la première nation noire du monde ou de plus de ses deux siècles d’indépendance !!
Humm…
plusieurs définitions ont été
adoptées pour tenter d’expliquer ce qu’il
fallait entendre par culture.
On verra s’opposer celle faisant
croire qu’elle serait un tout
complexe face à celle la rapportant aux particularités d’un
peule. Mais en poussant un peu plus loin le sens des mots, ce tout complexe
n’absoudrait-il pas nos
bourreaux et ne nous pousserait- il pas à renier nos intrinsèques
juste pour nous conformer aux modèles
proposés par ces derniers ? Il n’y aurait aucun mal à
ce qu’un esclave devenu
libre ou émancipé défende
la foi de son ancien maitre, adhère
à ses doctrines ,
jusqu’à même renié
les lois de ses pères.
Peut-être qu’il y aura trouvé
sa vérité ! Mais qu’il
y adhère et la défende avec les préjugés prônés par son ancien maitre ayant préalablement servi à
l’asservir le fait
inexorablement entrer dans un tout,
une spirale se complexifiant à
souhait qu’on aura la peine de
nommer culture.
Il n’est
pas, là, question de
religion mais d’identité ! Quelle est cette culture n’existant que pour étouffer une nation ! Ce tout
renverrait à un amalgame formé de propres et d’acquis.
Ces acquis eux, mal nommés,
ne sont en réalité que les éléments non-expédiés d’une
domination assassine, des tares qu’on
s’empressera d’exhiber fièrement.
Par contre, les particularités,
seront au nom de la modernité
des cailloux dans les bottes d’une
nation retardant du même
coup sa marche vers l’authenticité, l’affirmation
véritable de soi, la
dignité…. Ce n’est qu’après avoir extirpé
les particularités
de ce tout
qu’elle
finira par s’accepter, prendre
conscience de son histoire et s’élever
à la hauteur des vœux des aïeux.
Sinon les notions que l’ancien bourreau présentera
comme grandioses telles que :
l’intérêt
général, la justice, l’honneur
et l’intégrité
seront toujours, à
nos yeux, des mots vides puisque nous
nous aurions, au préalable, vidé
de notre essence.
Ainsi, les miroirs qui avaient servi à justifier l’esclavage
en lieu et place de la Bible en raison de la mission civilisatrice de l’Occident, serviront
dorénavant à nous regarder et saisir nos propres car définitivement, tout renouveau haïtien devra passer par la culture sans quoi…il n’en
sera rien… !
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