Les imperfections de la responsabilité du commandant

En mars dernier, la CPI prononçait un jugement à l’encontre de M. Bemba le reconnaissant coupable de crime contre l’humanité. Cette déclaration de culpabilité par la CPI, amène à ranimer un débat vieux d’environ un siècle, dans la mesure où M. Bemba n’était pas poursuivi à titre d’auteur, de coauteur ou encore de complice de l’infraction en question mais plutôt à titre de commandant en chef des milices ayant commis les atrocités en Centrafrique au cours des années 2002-2003. Sa responsabilité dans la commission de ces crimes contre l’humanité, a donc  été retenue sur la base du concept de la « responsabilité du supérieur hiérarchique » ce que laisse clairement entendre la décision de la Cour énonçant que « La chambre déclare Jean-Pierre Bemba coupable en tant que personne faisant effectivement fonction de chef militaire ».  

Cette notion de « responsabilité du supérieur hiérarchique » renvoie notamment au fait que la responsabilité pénale d’un supérieur hiérarchique (militaire ou civil), puisse être engagée en raison des infractions au Droit international humanitaire (DIH) commises par ses subordonnés, dans le cas où il était informé ou avait des raisons de savoir qu’elles étaient commises, et qu’il s’est, malgré tout, abstenu de les prévenir ou de les punir après coup. Il s’apparente donc à un mode de responsabilité du fait d’autrui mais cela en matière pénale.

L’origine de ce concept remonte à la conférence de paix organisée à Versailles le 29/03/1919, au cours de laquelle il a été admis la possibilité de rendre responsable les personnes en position d’autorité ayant failli à leur obligation de prévenir les contraventions aux lois et coutumes de la guerre commises durant la Première Guerre Mondiale. Néanmoins, le principe ne trouva une application réelle en droit international public qu’après la Seconde Guerre Mondiale avec les procès de Nuremberg, mais tout particulièrement avec l’affaire du général japonais Yamashita, qui a été tenu pour responsable des crimes commis par ses subordonnés en raison de son manquement à son obligation d’empêcher lesdits subordonnés à violer les lois de la guerre. Par la suite, le principe fut repris au sein des statuts des différents Tribunaux Pénaux Internationaux ad hoc, a l’instar du Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie (T.P.I.Y) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (T.P.I.R), pour être finalement et définitivement consacré par l’article 28 du Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale (CPI).  

En dépit de son objectif pratique et noble, consistant à imposer aux supérieurs hiérarchiques le contrôle des actions de leurs subalternes (afin d’éviter la commission d’infractions au DIH), ce principe comporte bien des limites nous amenant, par là même, à nous intéresser aux difficultés juridiques qui lui sont attachées. Nous nous bornerons cependant dans ce qui suit à l’analyse des difficultés liées à l’imputation de l’infraction au supérieur hiérarchique militaire.

A cette fin, il est à noter, au prime abord, que pour tenir un individu responsable d’une infraction, il faut tout d’abord être en mesure de lui imputer les faits incriminés, c’est-à-dire, le rendre coupable de l’infraction en raison d’une faute intentionnelle ou non qu’il a commise. Cependant, dans le cadre de la responsabilité du supérieur hiérarchique, l’imputation (à distinguer de l’imputabilité de la personne en cause) de l’infraction à l’accusé, et donc la reconnaissance de sa culpabilité, peut s’avérer problématique dans le sens où il s’agit d’une part d’une responsabilité indirecte (A),  et d’autre part d’une responsabilité par omission (B).

A.     Une responsabilité indirecte
Le commandant ou autre supérieur hiérarchique reconnu responsable d’une infraction par application du principe de la « responsabilité du supérieur hiérarchique », n’a en principe participé à aucun degré à la commission de l’infraction en cause. De fait, s’il y avait participé l’application du concept s’avèrerait inutile dans la mesure où, dès lors, il aurait pu être poursuivi à titre de complice ou de coauteur de l’infraction. Le supérieur hiérarchique n’est donc pas directement impliqué dans la commission de l’infraction ce qui explique que sa responsabilité ne soit pas directement engagée. Nous conviendrons cependant que cela puisse paraitre surprenant étant donné que si l’on se base sur les « acquis » du droit pénal traditionnel, il semble inconcevable que la responsabilité pénale d’un individu puisse être engagée pour une infraction dont il n’a pas expressément participé à la commission, peu importe le degré de cette participation (instructions, fourniture de moyens, exécution…). Par contre, cette responsabilité s’explique par le fait que l’on estime qu’un supérieur hiérarchique ayant pour devoir d’assurer le respect des lois de la guerre, -ce qui implique qu’il doit s’informer et contrôler en permanence les agissements de ses subordonnés-, s’il s’absout de ce devoir par son comportement, il cautionne et encourage tacitement la violation desdites lois.  De ce fait, il y participe de « manière tacite et indirecte ».

Néanmoins, une telle justification n’exempte en rien la problématique concernant la possibilité d’imputer l’infraction au supérieur hiérarchique alors qu’il n’a pas réellement contribué à la perpétration de celle-ci. En effet, en principe, pour imputer une infraction à quelqu’un, il faut que celui-ci ait réalisé au moins un élément constitutif de ladite infraction. Or, dans le cas de la responsabilité du supérieur hiérarchique précisément, celui qu’on accuse n’a réalisé aucun élément constitutif de l’infraction, ce qui rend particulièrement difficile l’appréciation de son implication dans la perpétration de celle-ci, et par là même, la possibilité de lui imputer les faits. 

Par ailleurs, on peut valablement déduire que l’imputation de l’infraction au supérieur hiérarchique se fait par des intermédiaires, ce qui la rend encore plus difficile. En effet, nous entendons par là que la responsabilité pénale du SH étant engagée à cause des infractions commises par ses subordonnés, il va de soi que pour pouvoir lui imputer ces infractions, il faut au préalable être en mesure de les imputer à ses subalternes. Un tel point ne manque pas de soulever d’autres problématiques à savoir, si les subalternes sont capables de répondre directement de leurs actes, pourquoi faut-il également considérer le supérieur hiérarchique comme responsable alors qu’il n’a rien fait ? De fait, si on devrait transcrire la logique de ce principe au droit pénal interne, devrait-on alors considérer comme juste de sanctionner pénalement le parent dont l’enfant a commis une infraction ou encore l’employeur pour l’infraction commise par son employé ? Mais aussi, une autre question demeure constante notamment, comment peut-on imputer un fait à un individu qui n’a accompli aucun acte positif visant à y aboutir ou l’ayant involontairement entrainé ?

B.     Une responsabilité par omission
La réponse à cette dernière interrogation réside dans le fait que la « responsabilité du supérieur hiérarchique » résulte d’une omission et non d’une action. Il n’est, en effet, pas anodin que la responsabilité pénale puisse découler d’une omission. On retrouve d’ailleurs en droit pénal interne diverses infractions consistant en une omission, la « non-assistance à personne en danger » par exemple. Dans ces cas précis, la responsabilité pénale sera le plus souvent engagée soit pour une faute d’imprudence, d’inobservation de règlement, ou de négligence. 

De même, pour la responsabilité du supérieur hiérarchique, on peut comprendre qu’elle découle d’une faute de négligence. Cependant, contrairement à la responsabilité du commandant, le plus souvent, en droit pénal interne, la responsabilité découlant d’une faute de négligence est directe puisque le fait incriminé est directement causé par ladite faute. Il n’y a donc pas d’acteurs intermédiaires de l’infraction dans le sens où l’omission découlant de la faute, constitue elle-même l’infraction. Par contre, lorsqu’on applique le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique, celui-ci n’est pas tenu responsable de l’infraction qui découle directement de sa faute de négligence mais de l’infraction qui est supposée avoir été favorisée par ladite infraction découlant de sa faute. En effet, l’infraction réellement commise par le supérieur hiérarchique par sa négligence est l’ « omission de prévenir ou de punir une infraction au DIH » puisque le principe juridique qu’il viole est justement l’« obligation de prévenir ou de punir les infractions au DIH ». Par contre dans la mesure où l’on peut dire que s’il n’avait pas violé son devoir, les infractions au DIH n’auraient « peut-être» pas été commises, on peut par conséquent valablement supposer que l’infraction primitive du supérieur hiérarchique a favorisé les infractions de ses subordonnés. Peut-on en déduire qu’il s’agit d’une situation de connexité d’infractions, expliquant ainsi pourquoi le commandant est également tenu responsable de l’infraction qu’il n’a pas directement commise ? Une telle justification ne tiendrait pourtant guère puisque le cas échéant, le supérieur hiérarchique aurait été poursuivi à titre de complice. D’ailleurs il aurait été peu judicieux de considérer l’omission du supérieur hiérarchique comme l’élément ayant déterminé les auteurs des crimes à les commettre.   

En outre, faire dépendre la responsabilité d’un individu d'une infraction de son défaut de punir cette infraction, constitue l’une des plus grandes failles du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique en ce qui a trait à l’imputation des faits à ce dernier. En effet, elle implique de rendre un individu responsable d’une infraction à laquelle il n’aurait jamais pu participer de quelque manière que ce soit, ne serait-ce parce qu’il ignorait que l’infraction allait se commettre avant qu’elle ne fût accompli. Ici, nul besoin de chercher la faute du supérieur hiérarchique car il ne peut en exister. Les défenseurs du principe avanceront toutefois que le fait de ne pas avoir puni les auteurs des crimes constitue une forme d’approbation et même d’encouragement, les poussant ainsi à recommencer. Cependant, qu’en est-il, s’il n’advient aucun autre crime ? De plus, dans le cadre des milices, peut-on vraiment dire qu’elles disposent de légitimité  nécessaire pour punir un individu suite à un procès équitable comme le veut les Conventions de Genève ? On voit donc bien ici, qu’un chef de milice en sanctionnant pénalement un individu sous ses ordres pour avoir perpétré une infraction au DIH risque lui-même de commettre un crime de guerre par cette action. 


On comprend ainsi que le concept de la responsabilité du supérieur hiérarchique entraîne de nombreuses difficultés juridiques en ce qui concerne l’imputation des faits à celui-ci. Cependant, l’adoption du principe répond à une logique de pure justice étant donné que son objectif vraisemblable est  de sensibiliser les personnes capables d’empêcher la commission de crimes aussi graves que sont le génocide, les crimes de guerre et ceux contre l’humanité, à mettre en œuvre ce pouvoir. Il les pousse par conséquent à s’abstenir de mener une politique de l’autruche, en pensant pouvoir se prévaloir du principe de l’individualité de la responsabilité pénale. Alors, s’il est vrai que sa consécration juridique au sein du statut de Rome et son application jurisprudentielle revêtent certaines failles juridiques qu’il convient de corriger, eu égard notamment à certains principes communément admis en droit, néanmoins il faut éviter de l’analyser strictement au regard du droit pénal traditionnel en raison des circonstances exceptionnelles dans lesquelles il intervient généralement. 

                                                                                                                                      Ansley L. Direny      


   
                         
       


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